
L’art du plâtre à l’épreuve de la modernité :
Gregory Blusson-Leclercq et la renaissance d'un savoir-faire ancestral
Dans l’atelier de Grégory BLUSSON-LECLERCQ, fondateur de GBL Plâtrerie, résonne l’écho d’une tradition séculaire. Ici, entre Saint-Malo et la côte bretonne, se perpétue un art qui traverse les siècles : celui du staff et du plâtre décoratif. À l’heure où les métiers d’art font face à une crise des vocations sans précédent, ce jeune artisan de 34 ans réinvente les codes de la transmission tout en préservant l’essence d’un patrimoine technique menacé.
Du rêve maritime à la révélation du gypse
L’histoire de Grégory Blusson-Leclercq commence par un détour. « Je voulais travailler sur les paquebots de luxe afin de les décorer avec du staff », confie-t-il, évoquant une jeunesse bercée par l’appel du large. Mais c’est la rénovation du Palais du Grand Large qui va réorienter définitivement sa trajectoire professionnelle. Cette rencontre avec « les pièces en grande dimension » révèle soudain les possibilités créatives infinies du plâtre, matériau noble par excellence des arts décoratifs français.
Cette épiphanie artistique s’inscrit dans une longue tradition. Le plâtre, ou gypse transformé, accompagne l’architecture française plusieurs siècles déjà. Des voûtes gothiques aux décors rococo, des appartements haussmanniens aux créations contemporaines, ce matériau a façonné l’identité décorative française. Grégory Blusson-Leclercq s’inscrit dans cette lignée, porteur d’un héritage technique qui remonte aux maîtres plâtriers de l’Ancien Régime.
« J’ai choisi ce métier car j’aime cela. C’est une passion. J’aime le contact du plâtre. », affirme-t-il avec une conviction qui rappelle les témoignages des artisans d’art recueillis par l’ethnologue Richard Sennett dans Ce que sait la main. Cette passion pour la matière s’accompagne d’une exigence constante qui l’a conduit à refuser certaines opportunités jugées trop conventionnelles : « J’ai choisi ce métier afin d’en révéler les subtilités et de partager ses possibilités infinies. »

Le staff, aristocratie du plâtre
En créant GBL Plâtrerie en 2019, Grégory Blusson-Leclercq fait le pari de la spécialisation. Dans une région déjà bien pourvue en artisans, sa stratégie de différenciation repose sur le staff qui représente « 80% du chiffre » de son entreprise. Ce positionnement sur un segment à forte valeur ajoutée témoigne d’une compréhension fine des enjeux économiques contemporains de l’artisanat d’art.
Le staff, cette technique qui consiste à mouler le plâtre renforcé de fibres végétales ou minérale, constitue l’aristocratie du métier. Héritier des décors de Versailles et des grands hôtels particuliers parisiens, il exige une maîtrise technique exceptionnelle et une sensibilité artistique aiguë. Chaque pièce de staff est le fruit d’un dialogue constant entre la main de l’artisan et la résistance de la matière.
Cette spécialisation s’inscrit dans une démarche de préservation patrimoniale. Alors que l’industrialisation a standardisé une grande partie de la production décorative, des artisans comme Grégory maintiennent vivante une tradition technique menacée de disparition. Leur travail dépasse la simple production : il constitue un acte de résistance culturelle face à l’uniformisation des savoir-faire.

La transmission en péril
« Vous avez des jeunes qui vous demandent des apprentissages avec vous ? » La réponse de Grégory est sans appel : « Sérieusement, non ! », laissant entendre la rareté de ces demandes. Cette pénurie de vocations révèle un paradoxe contemporain : alors que l’artisanat d’art jouit d’une reconnaissance culturelle croissante, il peine à attirer les nouvelles générations.
Cette désaffection s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, la méconnaissance de ces métiers dans l’orientation scolaire. Ensuite, la concurrence d’autres secteurs perçus comme plus attractifs. Enfin, la difficulté à valoriser économiquement ces savoir-faire dans un marché dominé par la logique du coût minimal.
« On a besoin d’apprentis. Et je trouve que c’est difficile d’en trouver par rapport à l’époque où j’ai commencé. Mais certaines personnes qui débutent ont moins de motivation », observe Grégory. Cette évolution reflète un changement sociétal plus profond dans le rapport au travail manuel et à l’apprentissage traditionnel.

Revaloriser par la noblesse du matériau
Pour Grégory Blusson-Leclercq , la revalorisation du métier passe par la redécouverte de la noblesse intrinsèque du matériau. « Le gypse est un matériau noble », lui fait-on remarquer, touchant à l’essence de son attachement professionnel. Cette dimension quasi spirituelle du rapport à la matière pourrait séduire une génération en quête de sens et d’authenticité.
Le plâtre possède en effet des qualités exceptionnelles : plasticité, rapidité de prise, capacité à reproduire les détails les plus fins. Ces propriétés en font un medium privilégié pour l’expression artistique, comme l’ont démontré les sculpteurs de Rodin à Giacometti. Renouer avec cette dimension créative du métier constitue un enjeu majeur pour attirer de nouveaux talents.
L’innovation technique accompagne cette revalorisation. Grégory reste attentif aux réalisations de ses pairs et s’intéresse particulièrement à « quelque chose que je n’ai pas fait ». Cette curiosité, caractéristique des artisans d’excellence, nourrit l’évolution d’un métier en perpétuelle transformation.

L'enjeu de la visibilité
La question de la communication digitale révèle un autre défi contemporain. Grégory identifie plusieurs éléments qui captent son attention en ligne : « la bonne compréhension de la mise en œuvre des produits », « un bon croquis, un bon plan, un bon visuel ». Ces observations dessinent les contours d’une communication efficace pour valoriser les métiers artisanaux.
La dimension numérique de la transmission représente un enjeu capital. Alors que les réseaux sociaux transforment la perception des métiers, les artisans doivent apprendre à mettre en scène leur savoir-faire pour toucher un public élargi. Cette médiatisation, loin de dénaturer l’artisanat, peut contribuer à sa renaissance en révélant sa dimension créative et contemporaine.

Le juste milieu…
Le parcours de Grégory Blusson-Leclercq illustre les mutations contemporaines de l’artisanat d’art français. Entre respect des traditions et adaptation aux réalités économiques modernes, entre transmission classique et innovation pédagogique, ces artisans réinventent leur profession pour assurer sa pérennité.
L’enjeu dépasse le cadre individuel et interroge notre rapport collectif au patrimoine technique.
Comment préserver des savoir-faire millénaires dans une société en accélération constante ? Comment transmettre la lenteur nécessaire à l’apprentissage artisanal dans un monde dominé par l’immédiateté ?
La réponse se trouve peut-être dans cette alliance entre tradition et modernité que Grégory incarne avec conviction. En montrant que l’artisanat d’art peut être à la fois porteur de sens, créativement stimulant et économiquement viable, il trace une voie pour la renaissance d’un secteur essentiel à notre identité culturelle.
Grégory Blusson-Leclercq perpétue un art qui traverse les siècles. Son geste, précis et sûr, porte en lui la mémoire d’innombrables artisans qui l’ont précédé et l’espoir de ceux qui, peut-être, sauront reprendre le flambeau. Car au-delà de la technique, c’est bien d’une certaine idée de l’excellence française qu’il s’agit, celle qui fait du savoir-faire artisanal un patrimoine vivant à transmettre aux générations futures.
